Dimanche le 16 juin, nous avons été invité à un mariage dans un des 28 villages de la communauté de Fissel. Par village, j'entends un assemblement de trois cases, dans chacune desquelles vivent ensemble quelques familles. Pas d'eau courante, ni de puits à l'horizon, pas d'électricité non plus. Mais pour le mariage, on a fait venir une génératrice et un système de son plus gros que nécessaire (et qui jouait plus fort que nécessaire, un syndrome des pays du Sud je crois). Notons tout de suite qu'au niveau musical, il est parfaitement de circonstance de faire jouer deux musiques à la fois, l'une électronique et l'autre avec les tambours (on a jamais su s'ils suivaient réellement un rythme d'ailleurs).
Nous nous rendons donc vers le lieu dit à pied, alors que deux des nôtres sont plutôt à une réunion avec le centre médical en vue d'un projet de plantation d'arbre et d'un potentiel panneau solaire. La route est belle, et chaude (nous sommes habillés en long pour l'occasion). C'est le festival de photo avec des baobabs, et on tente de reproduire ce que voient nos yeux dans la lentille de notre caméra. Mais on se rend bien compte que le paysage et sa beauté ne se transmette pas qu'en image. Il faut y être.
Dommage, car j'aurais voulu partager ce paysage, cette sensation d'infini devant le sable abondant et partout où l'on regarde, où l'on marche. Seules des traces de pneus des charrettes tirées par des chevaux ou des ânes oriente le marcheur en définissant timidement des chemins dans toutes sortes de direction. Les arbres sont aussi présents dans le paysages, ne prenant pas trop de place, mais juste assez pour pouvoir admirer chacun d'eux. Ils ont de l'espace, beaucoup plus que dans ma forêt québécoise!
Nous arrivons au mariage. Sans avoir le temps de faire le tour ou d'admirer les lieux, une troupe de 50 ou 60 enfants se dressent devant nous, attendant je ne sais quoi. Ils sont là, admiratif et curieux devant cette différence de couleur d'épiderme, devant cette surabondance de pilosité peut-être dans mon cas, et devant ces lunettes soleil que nous portons, à leur différence bien entendu. Chacun d'eux à les yeux grands ouverts et les dents bien affichés grâce à un grand sourire sincère.
La situation est surprenante, et nous déstabilise.
La musique joue, les femmes dansent et chantent, alors que de l'autre côté les hommes attendent leur musique (oui, les hommes et les femmes sont séparés pour le mariage). Nous nous habituons au regard des enfants, et ma flamme d'animateur se manifeste. Je scrute le regard des enfants et m'arrête sur un en particulier. Je commence à imiter ses gestes. Ça le fait rire, et ses amis aussi. Ces derniers commencent à le bouger dans tous les sens, et j'imite le plus précisément possible tout ce qu'il fait. Des fous rires éclatent, mon coeur se sent bien. Je communique par le geste, car la langue me fait défaut.

Ce jeu dure un petit moment, pour qu'ensuite un autre se mette à danser devant moi. Je le défis donc, et tous les autres qui viennent au milieu du cercle. En dansant comment? N'importe comment, en tapant les pieds le plus rapidement possible et en envoyant un peu de sable partout. Il me semble que c'est ainsi qu'ils dansent eux aussi. Mais la magie m'emporte, et me voilà que c'est le bassin qui se laisse aller, et mon visage change d'expression. Le succès est si fort que les rires prennent la place de la musique. Pour la finale, j'imite le poisson avec un visage qui leur parait si effrayant qu'en m'approchant d'eux, tous recule et finisse par tomber au sol.
J'ai créé le chaos, pour un instant.
Revenons à la cérémonie. La mariée arrive ensuite, non pas en limousine, mais dans une très vielle peugeot blanche au pare-brise qui tient grâce à du
tape transparent, de peine et de misère. J'aurais donné 100 km à vivre à la voiture. Mais ça semble parfaitement adapté à la situation. La mariée débarque, et 4 femmes s'approchent d'elle, disant des prières que j'aimerais bien vous traduire, se prosternant et en lui mettant des billets de 1000 francs CFA (2 dollars) dans les cheveux. «C'est signe de support et de prospérité», me dira-t-on plus tard. En fait, cette fille, qui a environ 18 ou 19 ans (personne ne le sait vraiment) vient de Dakar et ne connait pas trop les gens présents.
Le temps passe, et après des petits tours de magie exécutés par Josuah, un stagiaire, qui ont bien fait d'impressionner les enfants, la mariée s'approchent de nous pour prendre une photo avec nous. «C'est signe de propérité, ça porte chance», me dira-t-on ensuite. Les toubabs, des porte-bonheur?
La fête continue, et au moment de notre départ, car nous avons mal aux jambes à force d'être debout (on ne comprend vraiment pas ces femmes qui sont debout depuis beaucoup plus de temps que nous), tout le monde s'attroupe autour de nous, enfants et adultes, comme s'ils s'étaient dit: «Allons faire danser les toubabs, on va bien rire». Et on a bien rit.
Chemin du retour: soleil couchant, on est bien heureux de ce qu'on a vécu. On est chanceux.