lundi 24 juin 2013

Le contexte de notre stage

Amener 6 stagiaires et un accompagnateur dans un village comme Fissel nécessite beaucoup de préparation. Il faut en effet justifier notre présence pour le programme ministériel Québec sans frontières que les actions que nous poserons répondront à des besoins propres à la population locale. Dans notre cas, au Québec, c'est le Comité de Solidarité Trois-Rivières qui organise l'ensemble du stage. Ce dernier a fait un partenariat avec l'École Supérieur d'économie appliquée de Dakar, qui elle fait régulièrement des stages terrains pour ses étudiants universitaires. À Fissel, plus précisément, c'est le Conseil de la communauté rurale qui s'assure de notre accueil et de notre hébergement dans le Centre de ressource communautaire, un lieu relativement propre, mais rustique.

Le centre communautaire: le toit offre une belle vue!
Alors nous sommes ici, logés en groupe. Notre objectif est de comprendre plusieurs dynamiques du milieu, et tenter de structurer les initiatives locales, ou alors d'en initier d'autres. Mais pour cela, il est nécessaire de comprendre un peu la dynamique sociale de Fissel. D'abord, il faut comprendre que les 36 000 habitants de Fissel sont répartis dans 28 villages différents, en plus de la région centre. En arrivant, nous nous sommes fait dire que la majorité des habitants de Fissel sont des agriculteurs, qui cultivent principalement du mil - une céréale qui constitue la base de l'alimentation ici - et l'arachide - destinée à l'alimentation de la famille, des animaux et à la vente lorsque à récolte le permet. Il est facile de constater qu'il n'y a pas beaucoup d'autres emplois ici, à voir les quelques boutiques (épiceries sommaires), les deux restaurants (ne vous faites pas d'idées de grandeur), la quincaillerie, les soudeurs qui travaillent en plein air, les ébénistes, la pharmacie, la banque (!) et le salon de coiffure, qui sert aussi de discothèque du village.

Pourtant, l'hivernage (la saison des pluies, car hivernage n'a rien à voir avec le froid) dure très peu de temps, soit de juillet à septembre. C'est durant ces trois mois que tombent environ 500 millimètres de pluie. Après cette période, rien, niet, niente, nada, zéro. C'est la sécheresse jusqu'à la prochaine pluie. Pourtant, en ce moment, les arbres montrent de plus en plus de feuilles. Sentent-ils que la pluie reviendra sous peu? Ou est-ce que la timide rosée du matin que j'ai aperçu hier leur suffit pour grandir?

Les greniers qui conservent le mil durant l'année
Donc, trois mois de pluie, ça ne fait pas une grande saison d'agriculture. C'est pourquoi les gens ici attendent la pluie avec impatience (alors que nous on fait des paris sur la date de celle-ci... pas d'allure les toubabs) pour pouvoir semer l'arachide et travailler fort jusqu'à la récolte, au mois d'octobre. C'est durant ce seul moment que les agriculteurs peuvent gagner leur pain, à moins d'avoir un autre petit boulot, d'avoir une pompe motorisée à partir de leur puits ou de faire de la culture maraîchère. Une fois la récolte terminée, ils doivent garder le mil dans des greniers qu'ils construisent eux-même en vue de leur consommation personnelle. Où nous sommes, c'est la bordure du désert sahélien. La région est affectée par des problèmes de désertification et de salinisation des sols, ce qui affecte grandement le rendement de leur champ. Sans croire que nous pouvons régler tous ces problèmes, nous tentons de réfléchir à quelques solutions, d'abord en les consultant.

Visite d'un foyer amélioré: bouse de vache, argile et paille.
Les femmes prennent un rôle particulier ici. Elles font beaucoup. Si elles ne ramènent que rarement l'argent à la maison, ce sont elles qui vont chercher l'eau et le bois (parfois très loin), tôt le matin, pour subvenir aux besoins de la familles. Le bois sert à faire la cuisine en plein air. un projet de l'an dernier était justement de contribuer à étendre le savoir quant à la construction de foyer amélioré, qui réduit la consommation de bois, accélère la cuisson et diminue la quantité de fumée. Notre rôle est donc de tenter de faire un bon suivi et de s'assurer que le savoir continue à se transmettre. D'autres visées de structuration du groupe de femmes sont à venir, mais là, il faudra attendre des développements pour en dire plus.

Un autre projet ambitieux et motivant que nous avons est d'étendre le réseau d'aqueduc de Fissel en ajoutant une borne fontaine qui distribue l'eau aux gens du quartier. Mais le projet s'avère réaliste, et nous avons aujourd'hui (24 juin) constaté que ce n'était pas si compliqué. Reste à trouver l'endroit prioritaire, qui peut être justifier, et sensibiliser la population pour que tous mette la main à la pâte - ou la pelle dans le sable - pour creuser et poser la tuyauterie. Excitant comme projet!

C'est tout ça qui occupe nos journées, en plus d'alimenter nos réflexions sur la compréhension de la culture locale.




mardi 18 juin 2013

Le mariage au village

Dimanche le 16 juin, nous avons été invité à un mariage dans un des 28 villages de la communauté de Fissel. Par village, j'entends un assemblement de trois cases, dans chacune desquelles vivent ensemble quelques familles. Pas d'eau courante, ni de puits à l'horizon, pas d'électricité non plus. Mais pour le mariage, on a fait venir une génératrice et un système de son plus gros que nécessaire (et qui jouait plus fort que nécessaire, un syndrome des pays du Sud je crois). Notons tout de suite qu'au niveau musical, il est parfaitement de circonstance de faire jouer deux musiques à la fois, l'une électronique et l'autre avec les tambours (on a jamais su s'ils suivaient réellement un rythme d'ailleurs).

Nous nous rendons donc vers le lieu dit à pied, alors que deux des nôtres sont plutôt à une réunion avec le centre médical en vue d'un projet de plantation d'arbre et d'un potentiel panneau solaire. La route est belle, et chaude (nous sommes habillés en long pour l'occasion). C'est le festival de photo avec des baobabs, et on tente de reproduire ce que voient nos yeux dans la lentille de notre caméra. Mais on se rend bien compte que le paysage et sa beauté ne se transmette pas qu'en image. Il faut y être.

Dommage, car j'aurais voulu partager ce paysage, cette sensation d'infini devant le sable abondant et partout où l'on regarde, où l'on marche. Seules des traces de pneus des charrettes tirées par des chevaux ou des ânes oriente le marcheur en définissant timidement des chemins dans toutes sortes de direction. Les arbres sont aussi présents dans le paysages, ne prenant pas trop de place, mais juste assez pour pouvoir admirer chacun d'eux. Ils ont de l'espace, beaucoup plus que dans ma forêt québécoise!

Nous arrivons au mariage. Sans avoir le temps de faire le tour ou d'admirer les lieux, une troupe de 50 ou 60 enfants se dressent devant nous, attendant je ne sais quoi. Ils sont là, admiratif et curieux devant cette différence de couleur d'épiderme, devant cette surabondance de pilosité peut-être dans mon cas, et devant ces lunettes soleil que nous portons, à leur différence bien entendu. Chacun d'eux à les yeux grands ouverts et les dents bien affichés grâce à un grand sourire sincère.

La situation est surprenante, et nous déstabilise.

La musique joue, les femmes dansent et chantent, alors que de l'autre côté les hommes attendent leur musique (oui, les hommes et les femmes sont séparés pour le mariage). Nous nous habituons au regard des enfants, et ma flamme d'animateur se manifeste. Je scrute le regard des enfants et m'arrête sur un en particulier. Je commence à imiter ses gestes. Ça le fait rire, et ses amis aussi. Ces derniers commencent à le bouger dans tous les sens, et j'imite le plus précisément possible tout ce qu'il fait. Des fous rires éclatent, mon coeur se sent bien. Je communique par le geste, car la langue me fait défaut.

Ce jeu dure un petit moment, pour qu'ensuite un autre se mette à danser devant moi. Je le défis donc, et tous les autres qui viennent au milieu du cercle. En dansant comment? N'importe comment, en tapant les pieds le plus rapidement possible et en envoyant un peu de sable partout. Il me semble que c'est ainsi qu'ils dansent eux aussi. Mais la magie m'emporte, et me voilà que c'est le bassin qui se laisse aller, et mon visage change d'expression. Le succès est si fort que les rires prennent la place de la musique. Pour la finale, j'imite le poisson avec un visage qui leur parait si effrayant qu'en m'approchant d'eux, tous recule et finisse par tomber au sol.

J'ai créé le chaos, pour un instant.

Revenons à la cérémonie. La mariée arrive ensuite, non pas en limousine, mais dans une très vielle peugeot blanche au pare-brise qui tient grâce à du tape transparent, de peine et de misère. J'aurais donné 100 km à vivre à la voiture. Mais ça semble parfaitement adapté à la situation. La mariée débarque, et 4 femmes s'approchent d'elle, disant des prières que j'aimerais bien vous traduire, se prosternant et en lui mettant des billets de 1000 francs CFA (2 dollars) dans les cheveux. «C'est signe de support et de prospérité», me dira-t-on plus tard. En fait, cette fille, qui a environ 18 ou 19 ans (personne ne le sait vraiment) vient de Dakar et ne connait pas trop les gens présents.

Le temps passe, et après des petits tours de magie exécutés par Josuah, un stagiaire, qui ont bien fait d'impressionner les enfants, la mariée s'approchent de nous pour prendre une photo avec nous. «C'est signe de propérité, ça porte chance», me dira-t-on ensuite. Les toubabs, des porte-bonheur?

La fête continue, et au moment de notre départ, car nous avons mal aux jambes à force d'être debout (on ne comprend vraiment pas ces femmes qui sont debout depuis beaucoup plus de temps que nous), tout le monde s'attroupe autour de nous, enfants et adultes, comme s'ils s'étaient dit: «Allons faire danser les toubabs, on va bien rire». Et on a bien rit.

Chemin du retour: soleil couchant, on est bien heureux de ce qu'on a vécu. On est chanceux.

dimanche 16 juin 2013

L'arrivée du groupe :: changement de perspective

Ce message aurait dû être écrit beaucoup plus tôt. Si je l'écris aujourd'hui, c'est que je commence à avoir un peu de temps libre, car justement le groupe est mieux installé et disposé à travailler. C'est donc le 2 juin que 5 de mes 6 stagiaires sont arrivés à Dakar (le 6e restera à Paris jusqu'au 6 juin en attente d'un visa... petit pépin oui). Immédiatement, la perspective change: je ne suis plus le seul blanc à se promener en ville.

Un groupe en voyage, c'est tout une dynamique. La gêne face à l'étranger disparait en partie, car on sait que si l'on fait un faux pas, nos semblables sont là pour nous comprendre. On se fait regarder plus, mais l'attention n'est plus dirigée vers une seule personne. Enfin, on peut renouer avec nos référents culturels, et parler normalement à la limite.

Mais ce qui m'a étonné le plus, c'est cette volonté de comprendre entre nous la société dans laquelle on baigne. À peine une journée après leur arrivée, de grosses discussions étaient entreprises pour tenter de comprendre l'homme sénégalais, sa culture, sa façon de faire. Je décèle là aussi le risque de voyager en groupe: interpréter plutôt que questionner.

Quelques jours à Dakar ont suffi pour avoir un aperçu de cette société. Après la visite du centre ville, d'une coopérative de femmes qui vend du savon, du marché pour faire d'énorme prévision en vue de notre installation à Fissel (et quelle expérience) de la plage publique de N'Gor et de l'arrivée de notre sixième élément, le groupe était plus qu'impatient de se rendre dans la communauté d'accueil, à Fissel.

Sommes-nous réellement parti avec cet autobus?
Je me dois de spécifier que 145 km de route au Sénégal, c'est suffisant pour vider l'énergie des stagiaires - surtout des gars. Une fois installé dans le centre communautaire, la sieste et le repos était de mise dans cette impressionnante chaleur que nous adoptions pour la première fois, et qui nous accompagnera pendant 2 mois.

Un groupe comme celui que j'accompagne est exceptionnel. Les fous rires s'enchaînent, et les différences de chacun semblent enrichir l'ensemble du groupe. Pour ma part, je tente de m'assurer que la bonne entente reste, et que tout le monde trouve sa place dans le groupe: tel est le bon travail d'un accompagnateur! Dernièrement, nous avons fait des sous-groupes de travail, pour l'accomplissement de différents projets. Je peux dire que c'est réellement parti. La motivation est là, et moi je peux maintenant faire mon lavage...

samedi 15 juin 2013

Toubab bonjour!

Quand on sort des villes, même si elles sont petites, l'homme blanc devient un attrait touristique pour les habitants. À Fissel, agglomération de 28 villages comptant au total 36 000 personnes (environ), l'homme blanc se fait remarquer. Il est encore plus attrayant lorsqu'il se déplace en meute, comme pour un groupe de 6 stagiaires et un accompagnateur.

Notre première vraie sortie du centre communautaire a été frappante. Ça y est, allons voir ce village de brousse, nous sommes-nous dit. Plusieurs salutations en sérère (la langue locale, don
t 2,3 millions de personnes parlent au pays) nous laissent sans mot. Mbaldo!, Yamsomke!, Nafio!. Et voici la réponse des Canadiens: «...», suivi d'un sourire gêné.

Mais l'attitude des enfants, comme dans beaucoup de pays du Sud, est impressionnante et chaleureuse. Si au départ, ils partent en courant à notre vue, c'est pour ramener toute une horde d'amis pour nous regarder passer, faisant bonjour avec leur main en criant: Toubab bonjour! C'est le party, j'ai envie de dire. Ils ont l'air aussi contents qu'un Canadien qui reçoit une console vidéo. Vient ensuite le sentiment d'importance chez l'homme occidental. Je mets mes lunettes, et je me sens comme une rock star, avec tous ces enfants qui m'accueillent moi, l'air triomphant (on peut bien se créer des histoires non?).

Et pourtant, la scène se répète le matin suivant, alors que je décide d'utiliser mon premier matin dans ce village désertique pour partir du bon pied: je vais faire mon jogging à 6h30 du matin! Courageux, et à la fois logique pour ne pas avoir trop chaud (notons qu'entre 11h30 et 15h30, toute activité physique d'importance est susceptible de faire croire aux autres que vous sortez de la douche...), je pars courir. J'avoue réaliser de plein fouet que je suis en Afrique. Le paysage est caractérisé par une route de terre rouge poussiéreuse, avec un ou deux camions surchargés de personnes et de bagages à l'intérieur, sur le toit et à l'arrière (des gens se tiennent debout sur le pare-choc arrière). Je cours, comptant les baobabs que je passe, et voilà que je croise deux ou trois cases (regroupement de plusieurs familles à l'intérieur d'une clôture). Des enfants jouent à la lutte sénégalaise à droite et à gauche, des petites filles pleine d'énergie qui m'applaudissent et me crient encore: toubab bonjour! Voilà, la rock star revient.

Le Toubab. je demande à Maissa (notre interprète et animateur de la communauté) pourquoi les enfants aiment tant les toubabs. Il me réponde simplement: «Les enfants aiment les étrangers». C'est définitivement vrai. Il est si facile de prendre un bébé dans ses bras, de faire rire un enfant avec des bruits et des visages étranges, ou même de faire danser les plus vieux en dansant nous mêmes.
Lors d'une visite dans un village, photo spontanée

Rire, rien de plus facile ici.

Aujourd'hui, 15 juin, en visite dans un village pour le suivi d'un projet de l'an passé, les gens si souriant m'ont incité à prendre cette photo. Je ne peux vous transmettre l'excitation qui régnait à ce moment.

Je suis donc un toubab, et cela est parfaitement visible dans cette photo. Ce nom donné à l'étranger, qu'on le veuille ou non. Je serai donc toubab, un étranger pour le reste du voyage, et ferai en sorte d'en être un qui soit agréable pour ces enfants au sourire contagieux.